L’Ukraine a une fois encore été meurtrie ces derniers jours, des morts civils, des enfants tués chez eux pendant leur sommeil. Sur le front, on évoque, et de façon de plus en plus documentée, l’utilisation d’armes chimiques interdites, ou d’exécutions de prisonniers, au moment où la communauté internationale, ce qu’il reste du moins, attend du Kremlin la réponse claire aux initiatives de paix proposées ici ou là.
Les bombardements de civils par le Kremlin en Ukraine, l’utilisation d’armes chimiques, les déclarations violentes immédiatement tempérées par des déclarations d’intention lénifiantes, tout cela n’est ni fortuit, ni uniquement le fruit d’éventuels désordres, ou malentendus. Même l’attaque du vol de la Malaysian Airlines en 2014 ne me semble pas constituer à 100 % une « erreur ».
En testant systématiquement nos lignes rouges, les dictatures du XXIème siècle détricotent l’idée-même de communauté internationale. Le point charnière en est le massacre chimique de la Ghouta par Bachar El Assad en 2013. Mais il y en a bien d’autres : l’occupation de la Crimée et les référendums illégaux dans les territoires ukrainiens, c’est-à-dire très concrètement en refusant la présence des observateurs internationaux habituels, les mêmes que le Kremlin invitent à l’élection de Poutine (j’en ai fait partie) ; le détournement d’un avion de ligne pour arrêter un opposant par le dictateur bélarusse en 2021 ; les violations de plus en plus agressives de l’espace aérien et maritime de Taïwan ; les massacres de civils et le blocage de l’aide humanitaire à Gaza.
Il s’agit d’une stratégie récurrente et patiente de tous les dictateurs, en butte au droit que les nations tentent de construire depuis des décennies. Au quotidien, cette stratégie de long terme vise à saper les digues successives que les démocraties pourraient finir par négliger, en « testant » systématiquement la solidité, la solidarité internationale autour de ces lignes rouges, pour détricoter la communauté humaine.
L’écrivain syrien Yassin Al-Haj Saleh appelle cela la « syrianisation du monde » : ils veulent voir jusqu’où nous accepterons. La syrianisation du monde, c’est le mutisme rampant de l’Homme, la lassitude de la communauté humaine face à la violence et à l’horreur ; c’est ce que convoquent et attendent tous les dictateurs.
Dénoncer, toujours dénoncer, même quand cela ne peut servir qu’à ne pas nous taire ; ne jamais oublier nos sœurs et frères en humanité, ceux qui sont morts de ces calculs odieux, ceux qui en souffrent, ceux qui sont menacés. C’est ce je ferai encore et encore en Ukraine la semaine prochaine.