Après 80 heures environ de débats intenses, l’Assemblée nationale a adopté mardi 15 octobre 2019 le vaste projet de loi bioéthique. En ce qui me concerne, je me suis abstenu sur ce texte, mon explication ci-dessous.
Ce texte est un texte assez spécial, et pour moi difficile.
Je me suis engagé en politique pour produire du vivre ensemble, pour lutter contre les injustices, en France, en Europe et dans le Monde. Un texte sur la bioéthique me semble effectivement important, afin que la représentation nationale débatte à intervalle régulier des avancées scientifiques et technologiques ; ce rendez-vous est prévu dans la loi, et il est d’ailleurs bon que nous ayons raccourci durant l’examen de ce texte la durée entre deux révisions par le Parlement (5 ans au lieu de 7 ans dans le projet du gouvernement).
Mais si je reconnais l’importance d’un texte politique qui accompagne les progrès fulgurants de la médecine en particulier et de la science en général, c’est pour que le citoyen, non spécialiste mais éclairé, puisse appréhender les enjeux sociétaux et culturels de ces évolutions, et des pratiques qu’elles induisent. Que nous découvrions les progrès, que nous les analysions, que nous exprimions des lignes rouges qui reprécisent nos ‘valeurs bioéthiques’ citées aujourd’hui dans notre droit français en fonction de nouvelles possibilités techniques, tout cela est pour moi fondamental. C’est le rôle normatif du législateur.
Je ne suis pas sûr cependant que l’ouverture explicite de la Procréation Médicalement Assistée aux couples de femmes ou aux femmes non mariées soit de cet ordre. Des deux côtés des discussions passionnées (mais toujours fraternelles et respectueuses, rappelons-le) j’ai ressenti ce même inconfort. Le législateur est-il dans son rôle lorsque, sur la base de position tranchées, il contribue à façonner une nouvelle hiérarchie de valeurs ? J’ai d’ailleurs ressenti ce manque de clarté tant du côté des opposants à cette ouverture (qui stigmatisait l’absence de père comme une évidence, alors que nous savons que les familles monoparentales ne sont pas, loin s’en faut, les pires milieux pour éduquer les enfants, quelle que soit la cause de l’absence du père), que du côté des partisans (dont certains proposaient d’accepter le projet parental à trois personnes comme naturel : « Pourquoi ne pas l’admettre ? »).
Je trouve donc que ce sujet-là n’était pas à sa place dans un texte qui devrait confronter le citoyen et ses représentants, à la science, à l’évolution des techniques et des possibilités nouvelles ; ce sujet-là tendait à confronter des attitudes morales différentes.
Mais je ne me défile pas : mon avis personnel, « en mon âme et conscience » est clair. Si le projet de loi n’avait porté que sur ce point, c’est-à-dire, techniquement sur les alinéas 1 à 23 de son article premier, j’aurais voté contre. Si je reconnais que les ‘situations familiales’ peuvent être diverses, y compris sur décision libre des intéressés, je pense qu’un projet parental ‘biologique’ ne devrait être assisté que lorsque cette assistance vient aider un projet ‘biologiquement’ possible mais empêché (c’est pour moi le sens du mot « assister », le A de PMA). Je crois que cette technique n’a pas vocation à être utilisée pour les projets parentaux entre couples du même sexe ; je ne conteste pas la pertinence et la beauté de ces projets parentaux, mais il me semble qu’ils peuvent se construire autour d’autres façons de devenir parents. C’est d’ailleurs pour cela que ces familles existent, et ont toujours existé, indépendamment de ces techniques nouvelles…
Le reste du projet de loi, c’est-à-dire plusieurs centaines d’alinéas dans plus de trente articles, me paraît digne, et a donné lieu à une réelle confrontation des représentants des citoyens avec les avancées de la science. Et ce texte, après débats auditions et réflexions, fixe des lignes rouges et encadrent des situations nouvelles, dans des domaines de la recherche médicale tout d’abord, mais aussi dans l’organisation administrative de la filiation par exemple.
Il ne serait donc pas responsable de rejeter ce projet de loi en votant contre, et de laisser pour encore six ou sept ans des nouveaux champs de la recherche, de nouvelles réalités sociétales, sans encadrement éthique et sans débats citoyens, même si ces sujets n’ont pas eu le même éclairage médiatique que l’article 1.
J’ai donc décidé de participer au vote et de voter abstention, tout en rendant publique mes positions à travers cette explication de vote détaillée, afin que mon choix ne soit pas pris pour un non-choix.
Comme à mon habitude, je reste à disposition des citoyens qui souhaitent prolonger ce débat.