1. Trois systèmes possibles pour payer des retraites :
Il existe trois systèmes pour verser des revenus aux retraités :
- Le système par capitalisation, c’est-à-dire le bas de laine, plus ou moins individuel ou collectif. Cela signifie que je mets de côté des montants que je gagne, et je les récupère plus tard quand j’en ai besoin lorsque je me ‘retire’. Ce système est basé sur une décision individuelle ; les fonds sont le plus souvent confiés à des ‘fonds de pension’, car les périodes d’épargne sont très longues, et ces sommes mises de côté le sont pour très longtemps (plusieurs décennies), et doivent être garanties, ce qui impose aux gestionnaires à qui on les confie une activité bancaire très spécifique.
- Le système par l’État où les retraités sont indemnisés par l’impôt. C’est très fréquent dans les anciens pays du bloc communiste. Ce système a tendance à niveler, et sa gestion dépend bien évidemment de chaque alternance politique : il provoque généralement une défiance, et donc des démarches parallèles individuelles d’assurance par capitalisation. Il recrée donc des injustices et des inégalités.
- Le système par répartition, mis en place en France depuis les années cinquante. Dans ce système, les « actifs » réservent une part de leurs propres revenus pour soutenir immédiatement les « inactifs » ; C’est le système historique des caisses de solidarité des ouvriers ou des corporations. Ce système en France est garanti par la loi, mais n’est pas géré par l’État – ce qu’on oublie souvent – mais par les syndicats d’employés et d’employeurs (gestion appelée paritaire).
2. Des chiffres clairs, quand on prend la peine et un peu de recul :
Nous versons chaque année 345 milliards d’euros à environ 17 millions de retraités. C’est un énorme effort de solidarité avec les générations précédentes que consentent les actifs en France.
D’où viennent ces 345 milliards d’euros ?
- Pour deux tiers (et pour deux tiers seulement aujourd’hui…), de la solidarité des actifs, par l’intermédiaire des cotisations sociales : 203 milliards d’euros.
- Pour un tiers du contribuable :
- 24 milliards correspondent aux cotisations normales des fonctionnaires ;
- 20 milliards correspondent aux exonérations liées aux politiques économiques (exonération de charges sur les bas salaires, par exemple),
- 69 milliards correspondent aux compensations des politiques de solidarité décidées par la Nation (on améliore ou on complète les retraites, par exemple pour les parents, les aidants, pour atteindre les minima…)
- Et pour environ 30 milliards de subventions d’équilibres. Sans réforme, ces 30 milliards augmenteront de 10 milliards à l’horizon 2035. D’où les explications du gouvernement sur les ’10 milliards de déséquilibre’ que tente de contrer la réforme actuelle. En fait, il s’agit de 10 milliards de plus qu’actuellement…
Ces 30 milliards de subventions des contribuables, chiffre qui n’est contesté par personne, mettent aujourd’hui en péril notre système par répartition ; si le contribuable se substitue peu à peu à l’effort de solidarité des actifs, nous affaiblissons le système et risquons de l’entraîner par manque de confiance progressif. C’est ce qui s’est produit dans les anciens pays du bloc communiste depuis les années 90. Peu à peu, les gens passent à des systèmes individuels par capitalisation.
Pour plus d’informations, je vous invite à consulter la note du Haut-commissaire au Plan en cliquant ici.
3. Quelles menaces sur le système actuel :
Nous sommes donc théoriquement en France en système par répartition et je tiens à ce que ce système survive, et puisse encore financer la retraite de mes petits-enfants, et de leurs enfants.
Ce système de financement des retraites est menacé aujourd’hui par quatre phénomènes :
- Les équilibres démographiques : on comprend bien que les actifs en France ne pourront pas indéfiniment supporter une part croissante d’inactifs. Chacun d’entre nous, aujourd’hui, quand il est actif, prend en charge environ et en moyenne la moitié des revenus d’un retraité (alors que nos grands parents ne prenaient chacun en charge qu’un dixième). Une société dans laquelle un actif ferait vivre pratiquement un inactif ou plus deviendrait très instable.
- Les compensations et les subventions d’équilibre de l’État, qui couvrent aujourd’hui environ un tiers des sommes versées aux retraités. La proportion des sommes payées par le contribuable tend à nous faire passer progressivement en système d’État, avec tous les dangers que cela signifie sur le long terme pour notre système par répartition.
- La mauvaise compréhension par les citoyens et les salariés, voire par quelques responsables politiques, de ce qu’est vraiment le système par répartition, et son intérêt sur le long terme. C’est un système indépendant et solidaire, et beaucoup veulent en faire un système d’État, ce qui serait une catastrophe.
- L’augmentation des taux d’intérêt qui font de la dette publique un risque réel pour les équilibres du pays.
4. Ma position sur le fond :
Ne pas réformer le système aujourd’hui est immoral. C’est permettre à des générations ‘influentes’ aujourd’hui de charger la barque des générations à venir, et de faire payer notre confort actuel par nos petits-enfants et leurs enfants.
Je suis donc partisan :
- D’un retour à l’équilibre sur 10 à 12 ans. Nous avons encore le temps, surtout si nous allons vers le plein emploi et la rémunération digne (en particulier des femmes et des séniors), ce qui augmente les recettes. Il ne s’agit pas de mesures violentes et brusques, immédiates. D’ailleurs ce n’est pas ce que prévoyait le texte.
- De renforcer le système par répartition sur le long terme en trouvant d’autres sources de financement pérennes : sur les revenus du capital (pas sur le capital lui-même), en rajoutant quelques points de façon progressive (sur les hauts revenus) ; en relevant le plafond du régime général ; en allongeant la durée du travail – 43 ans me semblent raisonnables. Je suis contre toutes les mesures qui tendent à faire prendre en charge les retraites par un impôt, parce que cela les fragilise : la sécurité de la retraite est à long terme, elle doit être gérée par ceux qu’elle concerne (actifs et inactifs), alors que l’impôt est décidé chaque année et est tributaire de politiques dont le terme est souvent beaucoup plus court.
- De renforcer le système par répartition sur le long terme en rendant les dépenses plus justes et plus maîtrisées. Je suis donc pour un système par points, qui ramènerait l’écart entre retraites minimum et retraites maximum à 4 (il est aujourd’hui à plus de 7), qui permettrait de rendre lisible pour toutes et tous les avantages pour services rendus à la nation (élever des enfants, accompagner des personnes dépendantes, s’engager dans la vie sociale et civile…), et qui permettrait de rendre lisible pour toutes et tous les compensations (accidents de la vie, carrières pénibles, carrières hachées…)
Ce sont les points de repère que me donnent mon expérience et ma conscience de la justice sociale. Et c’est en mon âme et conscience que je mène, depuis le premier jour, mon action de parlementaire. Je suis prêt à en discuter et en débattre, sur le fond, pas avec des slogans simplistes et des idées toutes faites, ni sur des clivages préfabriqués.
5. Mon analyse de la crise actuelle :
La responsabilité de l’absence d’un débat civique vient de :
- presque 20 000 amendements de l’opposition, dont une grande partie étaient absurdes ou destructeurs, ont donné 40 000 minutes de discours exclusif à leurs députés, pas toujours très solides techniquement. Le débat parlementaire s’est donc réduit à un long monologue ininterrompu et ininterrompable réglementairement : phrases slogans, jeux de mots faciles, insultes… J’ai essayé avec mes collègues de ramener aux questions centrales : doit-on réformer ? Si oui, lequel des trois leviers possibles doit-on utiliser (durée de travail, taux de cotisation, montant des pensions) ? Cela n’a jamais été possible au milieu des cris, des slogans, des approximations, quand ce n’était pas le mépris et les insultes. Et toujours, notre droit à 2 minutes après chaque série de plusieurs heures de monologue de l’autre côté.
- Contre-vérités et slogans erronés répétés à l’envi sur les plateaux TV et sur les réseaux sociaux ; ils ne sont pas dignes de la fonction de député.
L’échec du vote en hémicycle après la commission mixte paritaire (CMP) est dû :
- aux calculs opportunistes de certains députés, indignes des enjeux,
- aux limites montrées par le gouvernement dans sa communication et son écoute des parlementaires, même ceux qui étaient d’accord a priori avec la réforme.
L’article 49.3 n’est pas l’outil constitutionnel scandaleux que certains ont décrit. Je regrette néanmoins que le gouvernement ait choisi cette option en dernier recours. Je crois profondément que la démocratie organise le dissensus et suis très inquiet de la perte de dignité de nos institutions. Je ne voterai pas la motion de censure, mais je souhaite que nous arrivions collectivement, avec des représentants de toutes les familles politiques, à reprendre pied dans nos institutions, pour nos concitoyens. Personnellement, je continuerai à œuvrer en ce sens.
Je continuerai également à plaider pour une réforme de fond de notre système de retraite, indispensable pour sauver le principe de répartition. Et j’ai la conviction que cette démarche réformatrice peut se mener dans le calme et le respect mutuel. Car la démocratie, ce n’est pas chercher « l’assentiment » des citoyens, mais amener au plus haut niveau possible « la conscience et la responsabilité » des citoyens.
Quelques points concrets d’avancée permis par cette réforme :
- Concernant la retraite des femmes et les droits familiaux : Pour mieux corriger les inégalités subies par les femmes au cours de leur carrières (interruptions de carrière, moindres revenus) plusieurs mesures d’accompagnement leur sont dédiées :
- Un amendement porté par le groupe Démocrate permettra de prendre en compte les périodes de congé maternité dans le calcul de la retraite, et ce dès le 1er septembre 2023 pour toutes les futures retraitées.
- Une autre disposition de la loi crée une surcote d’un an avant l’âge légal (5% par an) pour les femmes bénéficiant de droits familiaux au titre de la maternité, de l’adoption ou de l’éducation des enfants.
- Pour celles ayant commencé tôt leur carrière, les périodes de congés parentaux seront mieux intégrées au dispositif dit de carrières longues.
- Instauration d’une pension de réversion pour les orphelins, avec des mesures spécifiques pour les enfants en situation de handicap.
- Extension de la majoration de 10% pour 3 enfants aux régimes de base des libéraux, avocats compris.
- Concernant l’emploi des seniors : Au groupe Démocrate, nous considérons que le soutien de la puissance publique à l’emploi des seniors représente un investissement crucial pour l’avenir. Augmenter de 10 % le taux d’emploi des seniors d’ici à 2032 aurait un impact positif de 48 milliards d’euros sur les finances publiques. Aussi, face à l’impératif de mieux intégrer les seniors au marché de l’emploi, plusieurs dispositifs ont été adoptés par le Parlement :
- Un amendement du groupe Démocrate, adopté à l’Assemblée nationale et repris par les sénateurs, prévoit d’instaurer une mutualisation des coûts liés aux maladies professionnelles qui se déclenchent avec un effet différé, afin d’inciter les entreprises à embaucher des seniors.
- Un CDI seniors va être expérimenté, en concertation avec les partenaires sociaux, pour favoriser l’embauche de chômeurs seniors de longue durée.
- Un index recensant la présence des seniors en entreprise va être créé, assorti d’une obligation de publication pour les entreprises de plus de 300 salariés ainsi que d’exigences de mise en place d’un plan d’action en cas d’indicateurs dégradés.
- Concernant la reconnaissance de l’engagement citoyen et la valorisation de trimestres : Dans l’objectif de mieux tenir compte au moment de la retraite de l’engagement au cours de la vie, plusieurs dispositifs vont être instaurés :
- Sous l’impulsion du groupe Démocrate, le rachat de trimestres d’études supérieures sera facilité, pour permettre d’augmenter le montant des retraites des personnes étant entrées tard sur le marché du travail du fait de leurs études.
- Une nouvelle assurance vieillesse des aidants va être créée. Elle rendra possible des validations de trimestres pour les personnes contraintes de réduire ou d’interrompre leur activité professionnelle pour aider un proche ou un enfant.
- Les périodes de stage de « travaux d’utilité collective (TUC) » ou d’apprentissage (pour les carrières longues) seront également intégrées dans la comptabilisation de la durée de cotisation.
- Enfin, l’acquisition et la validation de trimestres seront facilitées pour les sapeurs-pompiers volontaires, les sportifs de haut niveau et les élus locaux.