La Syrie vient enfin de se doter d’un nouveau gouvernement. La prudence, pour ne pas dire la méfiance, reste pourtant de mise : aucun Kurde n’y figure ; une garde rapprochée assez fidèle idéologiquement se maintient auprès du président El Sharaa, qui cumulera lui-même la fonction de premier ministre ; les institutions paraissent toujours aussi fragiles.
Dans la situation syrienne actuelle, extrêmement complexe, je perçois néanmoins quelques signes positifs : une femme, opposante historique au régime Assad sera chargée des affaires sociales, un Alaouite et un Druze entrent au gouvernement. Surtout, le très controversé ministre de la justice est remplacé.
Et la route vers une Syrie pluraliste et stable, si elle existe vraiment, sera longue et ardue : pour le moment, aucune personnalité n’affirme des positions politiques et une très longue période de transition s’annonce. Le défi est d’autant plus grand que la situation économique est catastrophique. Les Syriens doivent lutter aujourd’hui pour la subsistance alimentaire, sanitaire, pour l’eau, la sécurité.
Comme ailleurs dans le monde, la remise en route d’institutions qui permettent à des citoyens de prendre leurs responsabilités et de vivre ensemble, n’est pas évidente. Le démocrate européen que je suis, observe avec rigueur, prudence, mais aussi avec espoir.
Récemment, un grand témoin, victime des décennies noires sous la dynastie des Assad (Hafez de 1970 à 2000, Bachar de 2000 à 2024) a avancé le terme de « syrianisation du monde »*, comme on a pu parler de « balkanisation » ou de « libanisation », illustrant la lente descente aux enfers d’un peuple pourtant historiquement éclairé et responsable, coincé entre la violence d’une caste au pouvoir et celle, obscurantiste, des jihadistes.
Ce terme fait écho avec ce que nous voyons à l’œuvre dans le reste du monde : d’un côté, des pouvoirs autoritaires, jetant en prison, torturant et avilissant leurs citoyens, exerçant une pression sur les proches et les familles ; de l’autre, des obscurantistes, prétendant parler au nom de Dieu et de la civilisation.
Comment en sortir ? De même que « balkanisation » et « libanisation » seront un jour synonymes de processus de « réconciliation », de « reconstruction », puisse le terme de « syrianisation » signifier, dans cinq ans, la « sortie des enfers ».
*Il s’agit de Yassin Al Haj Saleh, ancien prisonnier, réfugié, habitant de ma circonscription (Berlin).